cosmigimmicks

Année de composition
1961
Durée
23′
genre
Instrumentale
Effectif
Ensemble instrumental [7 instruments]
Trompette, mandoline, guitare, harpe, piano, percussions, violon

Dès que j’ai reçu cette commande du Nieuw Ensemble, du Southwest Ensemble et du Wittener Tage für Neue Kammermusik, j’ai pensé à composer une œuvre liée à la pantomime. J’ai été particulièrement inspiré par la structure instrumentale unique du Nieuw Ensemble – dans le théâtre imaginaire des cosmigimmicks, les instruments à cordes pincées (guitare, mandoline et harpe) jouent les rôles principaux, tandis que les autres instruments (piano préparé, violon, trompette et percussion) se déguisent pour participer à un jeu de masques et de mimétisme. Souvent, tous les instruments se fondent en un seul « super-instrument » : le pianiste et le violoniste imitent les instruments à cordes pincées, le premier au moyen d’une préparation, le second en utilisant des techniques de jeu inhabituelles ; enfin, l’ensemble des instruments à percussion (qui sont en partie également joués par le trompettiste) est utilisé pour atteindre la plus grande symbiose sonore possible avec les autres instruments. Le timbre général de la pièce est métallique et très fragile.

Ce caractère tonal inhabituel de l’instrumentation a suscité des idées structurelles, harmoniques et rythmiques, toutes liées à la notion de pantomime musicale. Pourquoi la pantomime ? Ce qui me fascine particulièrement, c’est la capacité d’un bon mime à résumer de manière incisive des archétypes et des histoires de vie entières en quelques gestes, sans avoir à se préoccuper du temps linéaire ou d’une simple narration. Dans le meilleur des cas, la pantomime est capable d’embrasser à la fois le sublime et le bas dans un mélange souvent déroutant de rituel et de non-sens, de rue et de grand art, de folie et de contemplation, de tragique et de grossièrement comique.

La pantomime remonte à une époque où l’homme ne parlait pas encore, et s’est depuis lors manifestée sous des formes très diverses. Il existe des traditions asiatiques de mime qui tendent à être extrêmement formelles et complexes. En Europe, l’art de la pantomime, souvent désapprouvé par l’église et le pouvoir en place, a été un puissant courant sous-jacent dans l’histoire du théâtre depuis la Grèce antique : comme l’a souligné Martin Esslin, il existe une congénialité d’expression entre des phénomènes aussi divers que la Commedia dell’arte, les fous de Shakespeare, les maîtres du cinéma muet et le théâtre de l’absurde.

Cependant, dans Cosmigimmicks, je n’ai pas du tout voulu cartographier l’histoire de la pantomime. J’ai plutôt choisi de me concentrer sur trois scènes importantes pour moi. Ces scènes ne sont pas des récits, mais plutôt des impressions qui ressemblent à des objets, qui ont été étendues au temps musical et qui possèdent souvent une monotonie fiévreuse.

Le premier mouvement, Shadow Play, n’est pas du tout lié à la pantomime, mais à la marionnette d’ombres. Il commence par un simple bruit, dont émergent progressivement des tonalités et des harmonies. Les gestes musicaux sont des ombres ; des figures apparaissent et disparaissent en un clin d’œil. Ces gestes sont énigmatiques, impalpables et imprévisibles comme l’Odradek de Kafka. Les contrastes spatiaux et texturaux (entre le lointain et le proche, entre le flou et le clair) sont explorés. La musique se situe fréquemment à la frontière du bruit et du son, comme si l’on faisait un zoom avant et arrière sur les gestes. Au cours du mouvement, la musique devient de plus en plus complexe, les figures extrêmement rapides devenant tour à tour plus lentes et plus étendues.

Le deuxième mouvement, Quad, a été inspiré par les deux pièces télévisées homonymes de Samuel Beckett (qui sont en fait des « pantomimes géométriques »). Il s’agit d’une scène fortement rythmée, simple et régulière, dont le mouvement cadencé est constamment accéléré au moyen d’une sorte de modulation métrique. Chaque instrument est ici transformé en une sorte de percussion.

Le dernier mouvement, intitulé Thall, est un hommage à György Ligeti. Le titre est coréen et signifie « masque ». La guitare est au centre de ce mouvement, jouant une quasi-mélodie composée de quelques microtons, qui est répétée à plusieurs reprises. En fonction des harmonies changeantes des autres instruments, cette « mélodie » se modifie, à l’instar de la transformation de l’expression faciale d’un mime (un peu comme dans Le Fabricant de Masques de Marcel Marceau). Le caractère général de Thall est à la fois légèrement sentimental et macabre, décrivant la psyché d’une personne déchirée, le changement des états mentaux étant illustré au moyen d’une altération du langage harmonique.

Malgré toutes les références et tous les stimuli mentionnés, Cosmigimmicks est très abstrait et subjectif et n’est certainement pas un programme musical littéraire.

Unsuk Chin, 2012.

Éditeur
Boosey & Hawkes

Pour recevoir nos informations,
inscrivez vous à notre newsletter !