Arnold SCHOENBERG

Compositeur autrichien naturalisé américain 1874-1951

Ses œuvres au répertoire

Kammersymphonie op. 9 (1906) | ensemble instrumental (15 musiciens) | 22′

Compositeur et pédagogue, il est le chef et l’initiateur de l’école de Vienne. Sa vie a été marquée par de nombreux paradoxes. Presque autodidacte, il fut un grand technicien de l’écriture musicale. Musicien maudit, il connut la célébrité. Respectueux du passé, il mit en pièces le système tonal. Il évolua plus rapidement, peut-être, qu’aucun autre musicien, mais ses dernières œuvres s’efforcèrent de retrouver les premières. Et, parmi ses continuateurs, ceux qui lui devaient le plus furent amenés, comme Pierre Boulez, à le renier ouvertement.

Sa vie

Il naît à Vienne le 13 septembre 1874. De bonne heure orphelin, il vient à la musique en autodidacte. Des leçons de violon qu’il prend tout enfant et, plus tard, quelques cours de contrepoint : ce sera là tout son bagage académique. Il s’impose cependant, par l’étude des partitions, une solide formation musicale. Ses œuvres de jeunesse – la Nuit transfigurée, opus 4 (1899) et les premières pages des imposants Gurrelieder, qu’il ne devait achever qu’en 1911 – témoignent d’une technique d’écriture très sûre et d’une connaissance profonde du langage de son temps.

En 1901, Schoenberg épouse Mathilde von Zemlinsky. Le jeune ménage s’installe à Berlin : Schoenberg devient chef d’orchestre au Buntes Theater. Tandis qu’il compose le poème symphonique Pelléas et Mélisande (1902-1903), il lui faut, pour vivre, orchestrer des opérettes, besogne qu’il devra assumer longtemps encore. Il est de retour à Vienne en 1903 ; sa situation matérielle restant précaire, il participe, d’ailleurs en vain, à des concours musicaux dotés de prix. Il entreprend, aux écoles Schwarzwald, puis à l’académie de Vienne, une carrière de professeur qu’il poursuivra toute sa vie. Son enseignement se révélera fécond : parmi ses élèves figureront Alban Berg et Anton von Webern.

Au seuil de la trentaine, l’activité créatrice de Schoenberg est intense. Il compose le Premier Quatuor en « ré » mineur, opus 7 (1904-1905), la Symphonie de chambre, opus 9 (1906), le Deuxième Quatuor en « fa » dièse mineur, opus 10 (1907-1908), qui préparent les premiers chefs-d’œuvre : le Livre des Jardins suspendus, quinze mélodies sur des poèmes de Stefan George (1908-1909), les Cinq Pièces pour orchestre, opus 16 (1909), le monodrame Erwartung (Attente) [1909], qui sera monté à Prague en 1924, année de la première représentation à Vienne du drame lyrique Die glückliche Hand (la Main heureuse) [1908-1913].

En 1911, alors qu’il rédige son Traité d’harmonie, Schoenberg est nommé, grâce à l’influence de son ami Richard Strauss, professeur au conservatoire Stern de Berlin. Sa musique commence à être connue à l’étranger ; il est invité à conduire ses œuvres à Amsterdam, à Londres, à Saint-Pétersbourg (1912). Il compose Pierrot lunaire (1912), qui le rendra célèbre.

Après Pierrot lunaire, Schoenberg entre dans une longue période de réflexion. Il abandonne une symphonie, dont certains éléments seront utilisés dans l’oratorio l’Échelle de Jacob (1915-1917), lui-même inachevé. Pendant la Première Guerre Mondiale, Schoenberg est mobilisé une première fois en 1915-1916, une seconde fois au cours de l’été 1917. Vers la fin de la guerre, il s’installe aux environs de Vienne ; il enseigne de nouveau aux écoles Schwarzwald (1917-1920) et fonde l’Association d’exécutions privées d’œuvres musicales.

À près de cinquante ans, Schoenberg revient à la composition avec les Cinq Pièces pour piano (1920-1923). Œuvre historique, la cinquième pièce, Valse (1921), inaugure l’écriture dodécaphonique : la série est née. Schoenberg confie à l’un de ses élèves : « J’ai fait une découverte qui assurera la prépondérance de la musique allemande pendant cent ans : celle d’une méthode de composition sur douze sons. »

En 1923, Schoenberg perd sa femme. Il se remarie, l’année suivante, avec Gertrud Kolisch. En 1925, il est nommé professeur à l’académie des arts de Berlin. Pendant toute cette période, il expérimente la série en quelques œuvres pour le piano ou pour de petites formations instrumentales ou vocales. LesTrois Satires opus 28 (1925), virulente attaque contre le néoclassicisme de Stravinsky et de ses disciples, lui font, a noté Heinrich Strobel, beaucoup d’ennemis nouveaux. En 1927, il se sent assez sûr du bien-fondé de sa technique – Berg et Webern l’ont utilisée avec succès – pour entreprendre une œuvre destinée au grand orchestre, qu’il avait abandonné depuis les Cinq Pièces de 1909. Ce sont les Variations opus 31, qui dominent cette période de reconstruction ; elles seront créées le 2 décembre 1928 sous la direction de Wilhelm Furtwängler (1886-1954).

La période heureuse que Schoenberg vit à Berlin, jalonnée d’œuvres moins importantes, mais aussi des esquisses de l’opéra Moïse et Aaron – que beaucoup tiennent pour l’une de ses œuvres majeures –, prend fin avec l’avènement du nazisme. D’origine juive, et bien qu’il ait été nommé à vie, Schoenberg est, dès 1933, révoqué de ses fonctions à l’académie de Berlin. Comme beaucoup d’autres artistes, il doit quitter l’Allemagne. Plutôt que de rentrer à Vienne, il préfère s’exiler. Après un séjour à Paris, où, par solidarité avec ses frères persécutés, il se reconvertit au judaïsme (qu’il a abandonné en 1892 pour le protestantisme), il se rend aux États-Unis. Il y professe, d’abord à Boston, puis à l’université de Los Angeles (1935-1944). Il devient citoyen américain en 1940.

Au cours de cette dernière partie de sa vie, assombrie, sur la fin, par la maladie, Schoenberg ne se consacre pas seulement à la pédagogie, encore qu’il publie en 1942 Models for Beginners in Composition et qu’en 1954 paraisse Structural Functions of Harmony. Le concerto pour violon opus 36 (1936), le quatrième quatuor opus 37 (1936), le Kol Nidre, opus 39 (1938), le concerto pour piano opus 42 (1942), le trio à cordes opus 45 (1946), les Psaumes modernes (1950) marquent ces années au cours desquelles Schoenberg compose deux œuvres « engagées » : l’Ode à Napoléon (1942), d’après un texte satirique de Byron, et Un survivant de Varsovie (1947), « épisode héroïque de la lutte des juifs polonais contre leurs exterminateurs ».

Arnold Schoenberg meurt à Los Angeles le 13 juillet 1951, laissant inachevés, outre Moïse et Aaron et l’Échelle de Jacob, les Psaumes modernes, dont il avait écrit lui-même les textes, reflets de ses préoccupations religieuses.

L’œuvre

Par référence aux « manières » de Beethoven, on divise habituellement l’œuvre de Schoenberg en quatre « périodes ». La première manière – celle des œuvres de jeunesse –, dominée par l’influence de Gustav Mahler et de Richard Strauss et, au-delà, par celle de Wagner, est incontestablement postromantique. C’est l’univers de Tristan et Isolde qui entoure la Nuit transfigurée, Pelléas et Mélisande et les Gurrelieder, comme il entoure les Kindertotenlieder (Chants pour des enfants morts) de Mahler et comme il entourera encore les Quatre Lieder, opus 2, de Berg. La personnalité de Schoenberg s’y exprime dans sa volonté d’aller au bout des fantasmes romantiques. Le poème symphonique s’insinue dans une œuvre de musique de chambre ; l’ampleur colossale des Gurrelieder imite le gigantisme mahlérien de la Symphonie des Mille.

Au cours de la deuxième période – celle où Schoenberg fait preuve de la plus grande créativité –, des œuvres très dissemblables sont élaborées : rien ne ressemble moins à Pierrot lunaire que la Symphonie de chambre. Le musicien est entraîné par la dynamique de son langage en pleine transformation : peut-être à son corps défendant. Il avouera, sur la fin de sa vie : « Il ne m’était pas donné de continuer dans la ligne des Gurrelieder ou de Pelléas et Mélisande ; le destin m’a imposé une voie plus dure ; néanmoins, mon désir de revenir à mon ancien style demeure toujours aussi vif ; de temps à autre, je cède à ce besoin. »

Pendant cette période se produit pour la première fois, dans les dernières pages du deuxième quatuor à cordes, la suspension des fonctions tonales, aboutissement inéluctable, semble-t-il, du style hyperchromatique issu de Tristan. C’est au contraire d’une réaction contre la sonorité trop opulente de l’orchestre romantique que va naître, dans les Cinq Pièces pour orchestre, opus 16, la « Klangfarbenmelodie » (« mélodie de timbres »). Sur le plan vocal, Pierrot lunaire met en jeu un nouveau type de déclamation lyrique : le « Sprechegesang » (« mélodie parlée »). Enfin, bien que Schoenberg reste fidèle aux formes classiques, il pousse très loin le principe de non-répétition des motifs et tend ainsi à une variation continue.

La troisième période est celle de la mise en œuvre du système sériel, d’abord fragmentaire dans les Cinq Pièces pour piano, opus 23, et la Sérénade, opus 24, puis étendue, à partir du quintette à vent opus 26, à l’œuvre entière. Le système sériel organise le « chaos atonal » né des œuvres précédentes. À la hiérarchie des degrés, base du système tonal, il substitue l’égalité des douze sons du tonal chromatique, dont la succession est déterminée par un ordre, une série, que choisit librement le compositeur, sorte de code génétique qui préside à la conception de l’œuvre. Schoenberg n’aperçoit pas que la nouvelle syntaxe devrait engendrer une nouvelle rythmique et déboucher sur de nouvelles formes. Très traditionaliste au fond, ce grand novateur continue de penser en fonction de modèles établis : la suite opus 29 s’achève sur une fugue, les variations opus 31 ont pour sujet le nom de Bach. La série devrait mener à l’athématisme (ce qu’elle fera chez Webern) ; Schoenberg en fait un ultrathème.

La quatrième manière de Schoenberg, enfin, qui correspond à la « période californienne » de la vie du musicien, est caractérisée par une tentative de retour aux structures tonales. Sans renier le principe de l’écriture sérielle, Schoenberg essaie de l’intégrer à une dialectique de type tonal, en une synthèse que son disciple Berg a déjà esquissée dans ses dernières œuvres. Schoenberg vieillissant veut parachever l’édifice de la musique tonale qu’il a lui-même détruit : « L’harmonie des Variations sur un récitatif(opus 40, 1941), écrit-il, comble le hiatus entre mes symphonies de chambre et la musique dissonante. »

L’austérité de Schoenberg, sa vision très élevée, très exigeante de l’art musical, ont créé autour de son œuvre une légende d’inaccessibilité que les années n’ont pas effacée. Certes, le Schoenberg postromantique a trouvé grâce aujourd’hui auprès du public, mais le Schoenberg « atonal » est réputé « difficile », et le Schoenberg sériel – à l’exception de Moïse et Aaron – presque incompréhensible. Nul ne met en doute la portée de son influence : la musique de l’après-guerre procède directement de l’invention de la série. Mais certains commentateurs avancent que Schoenberg n’a été que l’initiateur d’un mouvement, et que Berg et Webern l’ont dépassé dans la réalisation de ses propres idées. D’autres, il est vrai, soutiennent au contraire que Schoenberg a dominé son époque et qu’il ne lui manque encore, pour être pleinement reconnu, que d’être pleinement compris.

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